Correspondances 1
- dominiquemilliez
- 16 janv. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 janv. 2021
Ici, la Seine se jette dans la mer. Nous sommes à présent à marée basse, sur la côte iodée honfleuraise, balayée par un vent glacé. L'immense ciel lumineux envahit tout l'espace. On entre dans un tableau de Eugène Boudin.

Le rideau de la nuit se déchire lentement sur le pays de Caux. Le lever du Soleil embrase le paysage encore endormi. Nous voilà à présent dans un tableau enflammé de William Turner.

Rare. Ce soir là, calme plat. Les eaux noires du bassin du port du Havre ondulent sereinement en une symphonie molle, avec de belles variations bichromatiques. Une sorte d'hommage liquide, profond et digne à Pierre Soulages ?

Petite halte dans l'estuaire de la Durdent, près de Veulettes sur mer. Ce fleuve côtier de 24 km de long s'y prélasse pour notre plus grand plaisir. Ses eaux limpides jouent les effets miroirs avec la lumière d'un ciel printanier, les reflets de nuages qui se disloquent dans le courant ainsi que les chapelets d'algues filandreuses. Nous sommes dans un paysage de Claude Monet. Forcément. On cherche, en vain, les fameux nymphéas. On ne peut pas tout avoir.

Le vent soufflait fort. Les rouleaux écumants et le courant violent jouaient les aspirateurs à poissons. Une aubaine pour les goélands qui n'ont plus qu'à les "cueillir" au haut de la vague. Obnubilé par cette scène d'intelligence animale, je jouais de la focale de mon puissant téléobjectif pour mieux capter le ballet des volatiles affamés. Evidemment, le fond de l'image se transforma en aplats gris. J'entrais derechef (j'aime bien ce mot) dans l'univers de Nicolas de Stael, période havraise. Me vint tout de suite en mémoire son fameux tableau intitulé "les mouettes", exposé au Musée d'art moderne André Malraux du Havre. Ma consultation sur Internet confirma qu'à l'évidence l'immense Nicolas de Staël et moi, modeste photographe, avions ressenti à des dates différentes, les mêmes grandes émotions. Dame Nature est une immense galerie d'art. Et la Manche, sous sa parure grise... cache bien son jeu.

L'heure bleue.
L'été, une heure avant le lever du soleil, Dame Nature nous offre un magnifique spectacle : la recherche du fameux bleu profonf d'Yves Kein. Un bleu outremer breveté "International Klein Blue". Oui, nous parlons bien du "IKB 3", le monochrome exposé au Centre Georges Pompidou de Paris.
Chaque matin, j'arpentais la petite baie d'Etretat pour voir si Dame Nature y parvenait. Mais non. Il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas. Certes, la Manche au pied de la porte d'aval (que Maupassant comparait à un éléphant se désaltérant) se vêtait d'un bleu quasi immaculé. Mais pas assez profond, pas assez régulier, pas assez "immatériel"...
Lassé de ces tentatives ratées, je fus convaincu que Yves Klein avait définitivement réussi à défier l'heure bleue d'Etretat. Pour lui, toutes les couleurs amènent des associations d'idées concrètes. Le bleu fait exception. Certes, il rappelle la mer et le ciel. "Mais c'est la seule couleur qui amène ce qu'il y a de plus abstrait dans la nature." J'étais, je dois l'avouer, très déçu. Jusqu'au jour où, ...

De Klein à Rothko.
Je flânais seul ce jour là sur la plage de Vaucotte, près d'Yport. La mer était haute. On avait annoncé la veille qu'un pan de falaise s'était effondré non loin de là. Mais de mon observatoire, je n'arrivais pas à voir les dégâts. En revanche, Dame nature me fit un triple cadeau. Le premier : devant moi, près du rivage, pour ainsi dire à mes pieds, apparut une étrange bande blanche dans la mer. Je reconnus le travail de dilution des rochers calcaires tombés la veille. Un travail de sape par les va-et-viens inexorables des vagues ainsi que la salinité des eaux. C'est lui qui a donné à ce trait de côte son nom : la côte d'Albâtre. Deuxième cadeau : Par contraste avec la bande blanche, le bleu de la mer s'est renforcé, par une géniale alchimie, en un magnifique outremer digne du fameux IKB 3 de Yves Klein (Cf post d'hier). La Manche prenait ainsi sa revanche. Troisième cadeau : Au delà de ces deux bandes de couleurs, Dame nature m'octroyait deux autres tranches de couleurs superposées. J'avais ainsi devant moi, complètement ébahi, un autre tableau inattendu : une reproduction naturelle d'un Mark Rothko, quatre bandes, tendance "bleu" !!!!! Dame Nature, tu nous gâtes.

Je crains de vous lasser avec mes dialogues étranges entre Dame Nature, les peintres et le regard de mon appareil photo. Alors, voici un "petit dernier " de la série, mais sous forme de point d'interrogation.
Il concerne Pietr Mondrian (plus précisément ses premières oeuvres) et... les artisans maçons des bâtiments ruraux de Haute Normandie du XVIIe au XXe siècles. Eh, oui, des artisans-artistes ! Surprenant, non ? Il est vrai que leurs techniques architecturales s'apparentent étrangement aux constructions picturales du célèbre peintre batave.
Je reste très perplexe sur le parallélisme des formes obtenues entre la démarche intellectuelle de ce début du XXe siècle allant vers l'abstraction pure de Mondrian et autres Klee, Delaunay... et celle de ces artistes-artisans mus par la simple nécessité de construire des appareillages solides faits de matériaux naturels silex, terres à briques et de pierres pour les murs des châteaux, fermes fortifiées, manoirs et autres clos masures.
Je vous laisse devant l'un des murs de la ferme-château de Auberville la Manuel datant du XVIIe siècle pour méditer. Le bâti rural normand aurait-il inconsciemment influencé nos artistes contemporains ? Simple coïncidence ? Dame Nature nous jouerait-elle un tour de magie à sa façon ? ... Mystère !

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